Connaissance de la richesse en espèces
Tendances en biodiversité au Québec : Indicateurs de bien-être en biodiversité
Faits saillants
La biodiversité québécoise constitue une richesse collective d’une valeur inestimable – pour nos écosystèmes, notre identité et notre qualité de vie. Pourtant, elle est soumise à des pressions croissantes.
Malgré des avancées notables en matière de protection du territoire et de production de connaissances scientifiques, le déclin des espèces en situation précaire se poursuit. Parallèlement, les espèces exotiques envahissantes continuent de se propager, menaçant les équilibres écologiques.
Ces tendances préoccupantes exigent une réaction rapide, coordonnée et ambitieuse. Il faut :
Renforcer la qualité et l’efficacité des mesures de conservation existantes ;
Mieux documenter les espèces encore méconnues et les dynamiques des milieux naturels ;
Intégrer la biodiversité dans l’ensemble des politiques publiques et décisions économiques.
Les pressions augmentent – notre réponse doit s’intensifier au même rythme, avec plus de conservation, plus de prévention et plus de connaissances.
Introduction
La biodiversité fait partie intégrante de l’identité québécoise. Le vaste territoire, la faible densité de population et l’abondance d’espèces indigènes confèrent au Québec une position enviable sur la scène mondiale. Pourtant, cette richesse naturelle est aujourd’hui fragilisée. Trop souvent reléguée au second plan au profit du développement économique, la biodiversité figure aussi parmi les premières victimes des changements climatiques.
Bien au-delà de son importance symbolique, la biodiversité est essentielle à notre prospérité collective. Elle soutient le bon fonctionnement de notre économie, la santé des populations, la résilience de nos milieux de vie et la cohésion sociale. Cette interdépendance est largement reconnue à l’échelle internationale. L’Organisation des Nations Unies (ONU) en a fait un pilier de l’Agenda 2030, avec son 15e objectif de développement durable consacré au renforcement et à la préservation de la vie terrestre.
Lors de la conférence Rio+20, en 2012, les États membres de l’ONU ont rappelé « la valeur intrinsèque de la diversité biologique ainsi que la valeur de ses éléments constitutifs sur les plans environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, culturel, récréatif et esthétique ». Ils ont également mis en garde contre « la gravité de la perte de biodiversité et de la dégradation des écosystèmes, qui freinent le développement mondial ».
Adopté en 2022 à la 15e Conférence des Nations Unies sur la diversité biologique (COP15), le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal réaffirme également l’urgence d’agir. Il propose 23 cibles prioritaires pour préserver la biodiversité et restaurer les écosystèmes à l’échelle planétaire.
En outre, en plus d’être intrinsèquement liée au bien-être, la biodiversité et sa préservation sont des conditions sine qua non de la vie humaine sur Terre. Un rapport sur les plus récents travaux de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)[1] souligne le rôle essentiel de la biodiversité pour répondre aux besoins vitaux des populations humaines (approvisionnement en eau et en nourriture, soutien à la santé et à la stabilité du climat). Le rapport L'économie de la biodiversité[2], étayant l’examen approfondi du rôle de la biodiversité et les sociétés humaines, met également en lumière l’impact déterminant de la biodiversité sur le bien-être perçu et la santé mentale des populations. Le rapport insiste notamment sur l’importance de l’accès et de la connexion à la nature pour le bien-être des populations humaines de plus en plus urbanisées, réitérant la nécessité de préserver et de valoriser la biodiversité.
Dans les éditions précédentes des Indicateurs du bien-être au Québec, l’absence de données fiables limitait notre capacité à mesurer les tendances en matière de biodiversité. Cette nouvelle édition marque un tournant méthodologique : grâce à la collaboration de Biodiversité Québec, cinq indicateurs structurants ont été développés, permettant enfin d’ancrer la biodiversité dans le tableau de bord du bien-être collectif.
Protéger la biodiversité québécoise : un pilier de notre bien-être
La biodiversité procure des services écologiques essentiels qui soutiennent la qualité de vie, la santé et l'économie, en assurant par exemple la pollinisation, la purification de l'eau, la protection contre les catastrophes naturelles et la séquestration du carbone.
La valeur annuelle des services écologiques est estimée à 125 à 140 billions $ US, soit 1,5 fois le PIB mondial. Quelque 1,2 milliard d'emplois dépendent de la gestion des écosystèmes.
En matière de santé publique, préserver les écosystèmes réduit le risque de transmission de virus et constitue une source de médicaments et de diversité des microbiotes, essentielle à la santé et à la résistance aux maladies. L’exposition à la biodiversité améliore également la santé mentale et physique, réduit la détresse mentale et améliore les fonctions cognitives.
En matière d’adaptation et de résilience, la biodiversité rend les écosystèmes plus résilients aux perturbations et aux changements environnementaux, y compris au plan social.
La connaissance de la richesse en espèces
Mieux connaître, c’est mieux protéger
La biodiversité du Québec est aussi vaste que fascinante. Cependant, une grande partie des espèces composant les écosystèmes du Québec reste encore dans l’ombre, particulièrement chez les insectes.
Mieux documenter cette richesse invisible, c’est se donner les moyens d’agir intelligemment : mieux cibler nos actions de conservation, prendre des décisions éclairées, et valoriser ce patrimoine naturel unique auprès du grand public.
La biodiversité ne se protège pas à l’aveugle. La cible 21 du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal souligne l’importance de l’accès libre et équitable à des données, des informations et des connaissances de qualité sur les espèces. Cette connaissance constitue la base d’une gouvernance efficace et équitable, d’une planification cohérente et d’une participation citoyenne éclairée.
INDICATEUR 1 - La connaissance de la richesse en espèces : un indicateur pour éclairer l’invisible
Dans cette optique, un indicateur de la connaissance de la richesse en espèces illustre l’évolution du nombre d’espèces connues au Québec depuis 1970. Cet indicateur permet d’évaluer les efforts de documentation de la biodiversité sur le territoire québécois. Trois grands groupes ont été analysés :
Les arthropodes (insectes, araignées, etc.);
Les plantes ;
Les vertébrés (oiseaux, poissons, mammifères, amphibiens, reptiles).
Ce suivi met en lumière nos progrès, mais aussi nos angles morts. Il révèle combien d’espèces ont été répertoriées jusqu’ici, et combien restent probablement à découvrir. Cet indicateur constitue ainsi un outil précieux pour orienter les efforts futurs d’inventaire de la biodiversité présente sur le territoire québécois.
Connaissance de la richesse en espèces
Ce que nous apprennent les données
Un bond spectaculaire chez les arthropodes, mais un déficit persistant
Le groupe des arthropodes a vu son inventaire exploser : de moins de 2 500 espèces documentées en 1970, on est passé à plus de 11 000 en 2023. Il s’agit d’une augmentation de 350%. Mais attention : les expert-es[3] estiment qu’il existerait au moins 13 000 espèces d’arthropodes terrestres au Québec. Autrement dit, plus d’une espèce sur six resterait encore à répertorier.
Une couverture quasi-complète pour les plantes
Le nombre d’espèces végétales répertoriées a augmenté d’environ 25% depuis 1970. Aujourd’hui, l’inventaire est presque complet et peu d’espèces restent à découvrir (525 espèces restent à découvrir selon les estimations des experts-es). Ce bon résultat reflète des décennies d’efforts soutenus par les botanistes et les institutions scientifiques. Mais même dans ce groupe bien documenté, le maintien des efforts demeure crucial pour détecter les espèces envahissantes ou encore les déclins.
Des vertébrés bien connus depuis longtemps
Chez les vertébrés, le progrès est plus modeste : de près de 700 espèces connues en 1970, nous sommes passés à 978 aujourd’hui. Cela dit, l’essentiel des espèces avait déjà été répertorié il y a 50 ans. On estime qu’il existerait 1 113 espèces de vertébrés au Québec.
Ce que cela signifie pour le Québec
Ce portrait met en évidence un constat simple : nous connaissons mieux certaines formes de vie que d’autres.
Alors que les plantes et les vertébrés bénéficient d’un suivi globalement bien documenté, des pans de la biodiversité - notamment chez les insectes et autres arthropodes - accusent encore un certain retard dans leur documentation. Les lacunes actuelles dans la documentation de la biodiversité empêchent également d’effectuer les mêmes analyses pour d’autres groupes taxonomiques, comme les algues et les bactéries, notamment.
Cette situation est préoccupante, car on ne peut pas protéger ce qu’on ne connaît pas.
Par ailleurs, il est tout aussi important de consacrer des efforts au maintien de la connaissance en espèces, notamment en continuant de surveiller en continu et d’étudier les espèces déjà répertoriées. La connaissance en espèces est une richesse nécessitant un entretien continu.
Non seulement la biodiversité a une valeur intrinsèque, elle peut également avoir des usages qui pourraient s’avérer très importants en ce qui concerne la santé humaine, l’économie, la science et la culture. Faute d’information, on risque de mettre en place des politiques de conservation inadéquates pour préserver une biodiversité dont nous n’avons pas de portrait suffisamment fidèle à la réalité.
L’indicateur de la connaissance de la richesse en espèces nous rappelle qu’il reste encore du travail à faire pour dresser ce portrait. Il reflète aussi les efforts investis par la société québécoise dans la connaissance de la biodiversité, tant par la recherche, l’enseignement et la science citoyenne. Il nous rappelle aussi la fragilité de ces acquis si les ressources, les expertises et les inventaires ne sont pas maintenus.
Investir dans la connaissance, c’est investir dans la résilience de nos milieux naturels, dans la qualité de vie de nos collectivités et dans notre capacité à faire face aux bouleversements écologiques à venir. Le rapport Dasgupta dépeint d’ailleurs la biodiversité comme étant remarquablement complexe, ce qui rend son évaluation intrinsèquement difficile, faisant du manque de connaissances un obstacle majeur pour définir les mesures essentielles à sur le plan de la conservation[4].
La prochaine section explorera comment cette biodiversité est aujourd’hui fragilisée, et quelles pressions pèsent concrètement sur les écosystèmes du Québec.
Déclin et prolifération : les visages de la crise de la biodiversité
Une double menace pour les écosystèmes du Québec
La biodiversité québécoise fait face à une double pression grandissante : d’un côté, le déclin marqué de la taille des populations d’espèces en situation précaire, et de l’autre, la prolifération continue des espèces exotiques envahissantes qui bousculent l’équilibre écologique.
Ces phénomènes conjoints traduisent un dérèglement profond de nos écosystèmes. Ainsi, le volume d’espèces en situation précaire et le nombre d’espèces exotiques envahissantes sont deux indicateurs de l’état de la biodiversité au Québec.
INDICATEUR 2 - Le déclin significatif des populations en situation précaire
La biodiversité québécoise est sous pression. Le déclin des volumes d’espèces en situation précaire depuis les années 1970 est alarmant.
Développé à partir de la méthodologie de l’Indice Planète Vivante du Fonds mondial pour la nature (WWF), l’indicateur de tendance des populations d’espèces en situation précaire s’appuie sur la cible 4 du Cadre mondial de la biodiversité Kunming à Montréal, appelant à la mise en œuvre de mesures urgentes pour enrayer l’extinction des espèces menacées causée par l’activité humaine.
L’indicateur permet de suivre l’évolution de l’abondance de 61 populations appartenant à 48 espèces en situation précaire au Québec, de 1970 à 2018. Parmi elles, on compte notamment le béluga, le carcajou, le caribou des bois et plusieurs espèces de chauves-souris. Le niveau de précarité des espèces (classé S1, S2 ou S3) est déterminé par le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec[5].
Abondance des populations d’espèces en situation précaire
Ce que nous apprennent les données
Le déclin de 72% des populations d’espèces en situation précaire depuis 1970, avec une chute particulièrement marquée entre 1970 et 1990, constitue un signal d’alarme clair sur l’état de notre biodiversité. Par exemple, les colonies de petites chauve-souris brunes ont connu un déclin d’entre 77% et 85% depuis 1997[6].
La légère remontée observée après 2015 doit être interprétée avec prudence, notamment en raison des incertitudes liées aux données récentes.
À retenir
Cet indicateur, basé sur la méthodologie du WWF (Indice Planète Vivante), ne couvre que les espèces vertébrées bien documentées, pour lesquelles un suivi de longue durée est disponible. Cette limite pourrait sous-estimer la gravité réelle de la situation, et occulter une partie importante de la crise touchant d’autres groupes fauniques et floristiques. Comme nous disposons de peu de données, l’indicateur est moins précis. Il faudrait donc mieux documenter la taille des populations d’espèces menacées pour réduire cette incertitude.
INDICATEUR 3 - Espèces exotiques envahissantes : une pression croissante
Ce que nous disent les données : une prolifération croissante depuis plus d’un siècle
La montée du nombre d’espèces exotiques envahissantes (EEE) représente un danger silencieux en raison de leurs pressions sur les écosystèmes naturels qui sont déjà fragilisés.
L’introduction croissante d’espèces exotiques envahissantes constitue un autre visage critique de la crise de la biodiversité. Depuis 1920, leur nombre n’a cessé d’augmenter, sans phase de stagnation, traduisant un phénomène continu et aggravant. L’indicateur développé par Biodiversité Québec s’inspire des cibles 5 et 6 du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Ces cibles visent respectivement à promouvoir une utilisation responsable, durable, sûre et légale des espèces sauvages, ainsi qu’à réduire les impacts des EEE sur la biodiversité et les services écosystémiques. L’indicateur recense les espèces exotiques introduites au Québec. Toutefois, il ne mesure pas la superficie envahie ni la sévérité des impacts écologiques.
L’accroissement continu du nombre d’EEE au Québec reflète notamment l’effet de la mondialisation : intensification des échanges commerciaux, multiplication des voies de transport, tourisme international, etc. Ces facteurs facilitent l’arrivée de nouvelles espèces qui, une fois établies, peuvent concurrencer ou même supplanter les espèces indigènes, déjà mises à mal par la perte d’habitat, causée entre autres par l’urbanisation et les changements climatiques. Les changements climatiques jouent également un rôle majeur en tant que moteur de la distribution des EEE à travers le monde[7].
On remarque également que les EEE comptent un plus grand nombre de plantes que d’animaux, bien que ces deux catégories suivent des tendances très similaires. On note une légère augmentation du nombre de champignons exotiques envahissants depuis environ les vingt dernières années.
Invasive Alien Species
Ce que cela signifie pour le Québec : une biodiversité sous haute pression
La combinaison d’un déclin prononcé des espèces déjà en situation précaire et d’une pression accrue liée aux espèces exotiques envahissantes menace de rompre l’équilibre écologique de nombreux écosystèmes à travers le monde. En effet, la pression exercée par les espèces exotiques envahissantes favorise le déclin, voire l’extinction chez les espèces menacées de plantes, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères[8]. En outre, la prolifération des EEE engendre des coûts économiques importants. Les dépenses des municipalités canadiennes reliées aux EEE sont estimées à environ 248 M$ pour 2020. Cette estimation considère exclusivement les dépenses effectuées par les municipalités et non celles des autres paliers gouvernementaux[9].
Malgré certaines avancées méthodologiques et mesures de conservation existantes, la tendance actuelle souligne l’urgence de renforcer les actions de :
Prévention et gestion active des EEE ;
Surveillance accrue des espèces vulnérables ;
Investissements structurants pour enrayer les déclins ;
La biodiversité québécoise, déjà fragilisée, pourrait entrer dans une phase plus critique encore si ces pressions convergentes ne sont pas rapidement contenues.
Aires protégées : des progrès tangibles, mais encore inégaux
Protéger plus… et mieux
Le Québec a franchi un cap important en matière de protection de son territoire.
Cependant, pour faire face à la crise de la biodiversité, il faudra examiner la qualité de la protection du territoire, en plus de la superficie du territoire protégé.
Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une aire protégée est définie comme « un espace géographique clairement délimité, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». Afin de préserver la biodiversité au Québec, il est essentiel de dédier des portions du territoire à la conservation de long terme.
INDICATEUR 4 - Aires protégées : des progrès tangibles, mais encore inégaux
Dans cette optique, Biodiversité Québec a bonifié l’indicateur des aires protégées inclus dans le tableau de bord des Indicateurs du bien-être au Québec. Ce nouvel indicateur permet maintenant d’évaluer les efforts de conservation de la biodiversité déployés au Québec. Grâce aux données issues du Registre des aires protégées, l’indicateur distingue désormais :
Les types de milieux protégés (terrestres, marins, etc.) ;
Les régions situées au nord et au sud du 49e parallèle.
L’indicateur s’appuie sur la cible 1 du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal, qui encourage une planification spatiale participative, intégrée et respectueuse de la biodiversité, ainsi qu’une gestion efficace des zones face aux changements d’usage des terres et des mers.
Protected Areas
Ce que nous apprennent les données : une protection qui s’étend, mais partielle et inégale sur le territoire
Depuis 1990, la proportion du territoire québécois protégé croît de façon constante. En 2024, 17 % du territoire québécois était officiellement désigné comme protégé, ce qui représente une progression notable vers l’objectif mondial et celui du Plan nature 2030 du Gouvernement du Québec de 30% d’ici 2030.
Par contre, la répartition des efforts de conservation n’est pas uniforme :
Au nord du 49e parallèle, 19 % du territoire est protégé, alors qu’il profite d’une densité humaine plus faible ;
Au sud du 49e parallèle, seulement 9,4 % du territoire bénéficie d’un statut de protection, alors même qu’on y retrouve la plus grande diversité biologique et les pressions anthropiques les plus fortes (urbanisation, agriculture, etc.). C’est également là qu’on retrouve une majorité des espèces vulnérables au Québec[10].
Enfin, en 2024, 12,3 % du territoire marin québécois est protégé. Il s’agit d’un progrès significatif, qui aligne le Québec avec les objectifs internationaux en matière de conservation des écosystèmes marins.
Ce que cela signifie pour le Québec : viser autant la qualité que la quantité
Cette augmentation témoigne d’un engagement soutenu et encourageant, mais elle appelle à réévaluer nos priorités pour maximiser les retombées des efforts de conservation pour la biodiversité.
En particulier, il devient crucial de :
Prioriser les milieux stratégiques, ceux riches en biodiversité ou fortement menacés ;
Développer des corridors écologiques pour assurer la connectivité entre les habitats ;
Mieux protéger les écosystèmes fragiles ou soumis à de fortes pressions.
Il convient toutefois de rappeler que les aires protégées ne garantissent pas toutes le même niveau de protection. Certaines aires protégées permettent toujours des usages susceptibles de compromettre la biodiversité. Or, ces aires jouent un rôle fondamental dans le maintien des habitats essentiels et offrent un refuge vital à de nombreuses espèces, en particulier celles les plus menacées d’extinction. Il est donc primordial d’évaluer non seulement l’étendue, mais aussi l’efficacité réelle de la gestion des aires protégées et des mesures de conservation appliquées. Un récent rapport de la Commissaire au développement durable du Québec[11] souligne d’ailleurs certaines incohérences dans la régularisation des statuts de protection des différents territoires protégés. Le rapport note entre autres que la plupart des aires protégées québécoises le sont à statut temporaire seulement et n’ont souvent pas de plan de conservation à jour, voire pas de plan de conservation du tout.
On observe également des disparités régionales marquées, révélant une répartition inégale des efforts de conservation sur l’ensemble du territoire québécois. Ce constat souligne l’importance de protéger davantage notre richesse biologique, en particulier au sud du Québec. En effet, les milieux les plus menacés se retrouvent généralement au sud du 49e parallèle, où la biodiversité est plus riche et les pressions anthropiques, plus intenses. Les efforts de conservation au nord du 49e n’en demeurent cependant pas moins essentiels pour la pérennité des écosystèmes québécois. Ils pourraient également être intensifiés afin d’atteindre les cibles du Plan Nature en matière de conservation du territoire.
Rappelons que la cible 3 du Plan Nature 2030 du gouvernement du Québec établit comme objectif de « conserver 30% des milieux continentaux et 30% des milieux marins du Québec, en misant sur la gestion efficace, la représentativité et la connectivité écologique des sites conservés, tout en améliorant l’accès à la nature »[12]. Le présent indicateur montre qu’il reste du chemin à faire en termes de superficie conservée et de représentativité du territoire conservé pour atteindre l’objectif du Plan Nature. Toutefois, l’indicateur ne permet pas de mesurer la connectivité écologique entre les zones conservées, c’est-à-dire la capacité des zones conservées à laisser voyager les plantes et les animaux entre elles.
En bref, l’indicateur de la superficie de conservation révèle une avancée tangible dans la protection du territoire québécois.
Protéger 17 %, c’est important. Mais protéger les bons milieux, de manière efficace, c’est essentiel. Il faut donc considérer la qualité de la conservation du territoire, en plus de la simple augmentation quantitative de la superficie protégée. Une protection étendue mais inefficace ne saurait répondre adéquatement aux enjeux de conservation.
Pour y arriver, il faudra accélérer les efforts dans les régions sous pression, particulièrement au sud, intégrer la conservation aux dynamiques économiques et aux besoins des communautés humaines, ainsi qu’évaluer et améliorer l’efficacité de gestion des aires protégées existantes. Une approche cohérente et coordonnée entre conservation et développement permettra d’assurer la résilience à long terme des écosystèmes, tout en répondant aux besoins des communautés humaines.
Pourquoi protéger la biodiversité québécoise : un pilier environnemental, social et économique de notre bien-être
Des services écologiques essentiels au quotidien
Bien qu’une biodiversité abondante soit souvent perçue strictement comme un indicateur de santé environnementale, elle est bien plus que cela : elle soutient, de manière fondamentale, notre qualité de vie, notre santé et notre économie.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)[13], la biodiversité fournit des services écosystémiques irremplaçables :
Pollinisation des cultures ;
Purification de l’eau ;
Protection contre les inondations et les sécheresses ;
Séquestration du carbone.
Ces services naturels permettent non seulement de répondre à nos besoins fondamentaux, mais contribuent aussi à réduire les risques de catastrophes naturelles et à atténuer les effets des changements climatiques. Leur valeur globale annuelle est estimée entre 125 et 140 billions $ US, soit environ 1,5 fois le PIB mondial.
Une dépendance économique souvent sous-estimée
L'OCDE indique que la perte de biodiversité représente un risque systémique croissant pour de nombreuses industries, mais aussi pour les institutions financières et les marchés mondiaux. On estime par ailleurs que 1,2 milliard d'emplois dépendent de la gestion efficace des écosystèmes[14].
Préserver les écosystèmes, c’est aussi protéger les fondations économiques sur lesquelles reposent l’agriculture, la foresterie, le tourisme, la pharmacologie, et bien d'autres secteurs.
La biodiversité, un enjeu de santé publique
La biodiversité joue un rôle déterminant dans la santé humaine. L’économiste Éloi Laurent, dans son ouvrage Toward Social-Ecological Well-Being: Rethinking Sustainability Economics for the 21st Century[15], illustre comment la dégradation des écosystèmes augmente le risque de transmission de virus de l’animal vers l’humain, comme l’a illustré la pandémie de COVID-19 en 2020. La fragilisation des milieux naturels pourrait favoriser l’émergence de pandémies.
La biodiversité est également la source de plusieurs ingrédients utilisés dans les médicaments[16]. Par ailleurs, la diversité des microbiotes sur et dans notre corps, qui dépend de la biodiversité environnementale, est essentielle pour notre santé et notre résistance aux maladies. L'urbanisation croissante et le manque d'exposition à un microbiote diversifié sont associés à l'augmentation des réponses immunitaires dysfonctionnelles et des maladies non transmissibles[17].
Les recherches menées par Sandifer[18], Frumkin[19] et leurs collègues confirment également que l’exposition à la biodiversité améliore la santé physique et psychologique. L’étude de Meng et al[20]. va encore plus loin en établissant que la richesse en biodiversité des environnements influence positivement la santé mentale des individus qui y sont exposés. Le rapport Dasgupta[21] souligne par ailleurs que les expériences dans la nature peuvent apporter une cohésion sociale positive, améliorer la capacité à accomplir des tâches quotidiennes, réduire la détresse mentale et améliorer les fonctions cognitives. Elles aident également à réduire les risques de mauvaise santé mentale et à alléger les fardeaux des maladies existantes.
Un déterminant de l’adaptation et de la résilience aux chocs
La biodiversité permet aux écosystèmes d’être résilients face aux perturbations d’origines diverses, à travers la diversité des réponses des différentes espèces aux changements dans leur environnement. Une plus grande biodiversité génère une plus grande variété de réponses aux chocs, ce qui rend l’écosystème dans son ensemble plus résilient[22]. L’adaptation basée sur les écosystèmes réduit à son tour la vulnérabilité humaine aux changements climatiques et renforce la résilience, incluant la résilience socio-écologique[23].
Un enjeu transversal pour le bien-être des Québécois et des Québécoises
Protéger la biodiversité, ce n’est pas seulement préserver des espèces : c’est maintenir les conditions essentielles de notre bien-être collectif – un environnement stable, une économie résiliente et des populations en santé.
Ces constats s’inscrivent dans la vision portée par le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal, qui appelle à reconnaître et renforcer les contributions de la nature aux humains, tant sur les plans environnementaux que sociaux et économiques. À l’approche de la COP30, le Québec a l’occasion de démontrer que la biodiversité est bien plus qu’un enjeu environnemental : c’est un atout stratégique pour bâtir un modèle de société plus résilient et équitable, et essentiel pour bâtir une économie en santé.
Méthodologie
Une collecte de données fiable et actualisée
Les indicateurs en biodiversité développés par Biodiversité Québec s’inscrivent dans une démarche méthodologique rigoureuse, transparente et cohérente avec les principes directeurs des Indicateurs du bien-être au Québec.
L’équipe méthodologique a procédé à un recensement exhaustif des données accessibles au public, en privilégiant des sources fiables, reconnues et régulièrement mises à jour par le Gouvernement du Québec, Statistique Canada et d’autres organismes publics ou parapublics reconnus.
Ce choix méthodologique assure à la fois la robustesse, la comparabilité temporelle et la crédibilité des indicateurs produits.
Des approches éprouvées et reproductibles
Les indicateurs reposent sur des méthodologies standardisées, largement utilisées dans le domaine de la biodiversité, ce qui renforce leur transparence, facilite leur reproductibilité par d’autres équipes de recherche ou institutions, et permet de documenter clairement les limites et les hypothèses associées à chaque indicateur.
Les méthodologies utilisées reposent sur des approches communes, bien établies dans le domaine de la biodiversité, ce qui garantit la transparence des indicateurs et facilite leur reproductibilité par d’autres experts ou institutions.
Un arrimage stratégique avec les cibles internationales
Le choix des cinq indicateurs retenus ne relève pas du hasard. Chacun a été sélectionné en raison de sa pertinence scientifique, mais aussi pour son alignement direct avec une ou plusieurs cibles du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Cela permet de documenter l’évolution de la biodiversité québécoise dans une perspective à la fois locale et globale.
Des limites à surmonter pour enrichir le portrait
Bien que ces cinq indicateurs permettent de brosser un portrait éclairant de l’évolution de la biodiversité au Québec, certaines dimensions importantes, comme l’utilisation des terres, demeurent difficilement quantifiables en raison de plusieurs facteurs, dont le manque de données publiques de qualité, ainsi que des défis de représentation visuelle. L’ajout éventuel d’un indicateur sur le changement d’utilisation des terres pourrait enrichir de façon significative ce portrait, puisqu’il s’agit d’un facteur central de la perte de biodiversité. Ce serait aussi un levier particulièrement utile pour les décideurs, qui disposent dans ce domaine d’un potentiel d’action important.
Cette contrainte souligne l’importance de poursuivre et de renforcer les efforts de collecte, de partage et d’ouverture des données afin de compléter l’analyse et d’éclairer plus efficacement la prise de décision.
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